Appel à communications
Texte de cadrage général
La post-Amérique
L’histoire des États-Unis se définit par une idéologie du mouvement : la croyance dans le progrès collectif et individuel est à l’origine des réformes politiques, des innovations technologiques, des révolutions culturelles, des transformations économiques. Cet ethos du progrès et du dépassement a nourri une mythologie (la conquête de l’Ouest au XIXe, la conquête de l’espace au XXe), qui tend à occulter les zones d’ombre de l’Histoire états-unienne. La post-Amérique révèlerait les contradictions entre discours progressistes et orientations nationalistes, voire conservatrices, entre principes éthiques et décisions politiques, qui se manifestent par les impasses sociétales des dernières années.
Le « post- », préfixe polymorphe et ambigu, se comprend sur le mode chronologique ; il désigne des épisodes de suites (« aftermath »), comme dans les troubles de stress post-traumatique (PTSD), les traces d’un passé qui ne se laisse pas oublier et continue de travailler le présent. La période post-esclavagiste indique une nouvelle transition pour les esclaves émancipés dont la citoyenneté n’est pas encore acquise malgré l’abolition de la servitude. Les années de la post-Reconstruction virent émerger un discours révisionniste dont les historiens de l’école Dunning furent les architectes. Le préfixe « post- » évoque un « après », parfois une retombée, et invite à une micro-lecture d’années qui ne sont souvent pas le point d’orgue du récit national. Ainsi, la période post-Seconde Guerre mondiale vit-elle un véritable retour en arrière pour les femmes auxquelles s’intéressa Betty Friedan. La post-Guerre Froide signale la fin d’une vision d’un monde divisé entre l’Est et l’Ouest, faisant apparaître de nouvelles forces géopolitiques mondiales. L’histoire du XXIe siècle restera-t-elle celle du post-11 septembre et de ses stratégies antiterroristes ?
D’autre part, le « post » fait souvent figure de particule critique, couramment employé pour désigner ce qui émerge quand la croyance aux grands récits méta-historiques (le progrès, par exemple...) commence à refluer. Depuis les années 1960, les États-Unis semblent être entrés dans l’ère de la « postvérité » ou du « postfactuel », moment de crise où les prophéties d’un « désert du réel » semblent trouver confirmation non seulement dans les avant-gardes esthétiques mais jusque dans les sciences politiques et historiques. Une refondation de la démocratie et de son langage est-elle encore possible, ou la conjonction du populisme et du « big data » a-t-elle introduit un changement de paradigme irréversible ? Le « post » est une ère du soupçon, inaugurée par les débats sur le postmodernisme et la postmodernité.
Poser la question du « post », c’est aussi poser celle de l’acclimatation outre-Atlantique de concepts ou de mouvements exogènes. L’Armory Show de 1913 inaugure la reprise américaine du postimpressionnisme, appropriation d’une avant-garde qui accouchera quelques décennies plus tard de la prééminence étasunienne sur la création et le marché de l’art. La transplantation dans les universités américaines du poststructuralisme européen peut être en partie représentée comme une creative misprision de la « French Theory » en réponse à des enjeux et rapports de pouvoir étasuniens (François Cusset).
Le « post » peut aussi se vouloir annonciateur d’utopie, conjuguée au présent ou au futur. La problématique affirmation d’une Amérique postraciale semble invalidée par la visibilité accrue d’un racisme décomplexé, alors même que les hérauts de l’esthétique « postnoir » ou « postsoul » revendiquent une créativité émancipée de canons identitaires prédéterminés.
Le « post » serait l’avenir de l’homme, comme le promet le temps du posthumain, qui laisse entrevoir une nouvelle société où seraient transcendées non seulement les frontières raciales mais aussi, grâce aux technologies d’humanité augmentée, celles du corps. Nous pourrons interroger les rapports problématiques du post et du transhumain, alors que l’on annonce parfois le dépassement du posthumanisme, et que l’éthique et l’esthétique « cyborg » (Haraway) connaissent peut-être elles aussi déjà leur « post- ».
Versant sombre de l’utopie, les fictions de la post-Apocalypse envisagent cet avenir sous l’angle de la destruction et du renouveau, à force d’effets spéciaux qui réinventent la science-fiction dans un format en 3D. Représentent-elles principalement un retour vers le mythe inaugural de la Frontière, ou prennent-elles acte de l’épuisement programmé de l’Histoire, de l’avènement d’une « posthistoire » ? Pressentent-elles obscurément le passage du XXe siècle, le « siècle américain », vers un siècle postaméricain, où le centre de gravité géopolitique et culturel aura entamé sa migration vers l’Asie, voire l’espace ?
Si le « post- » dénote cette recherche du dépassement, des tentatives pour maitriser l’inconnu, de la quête du « toujours plus loin », typiques de la société, de la culture et des arts américains, il est également le signifiant d’un après-coup à interroger. La mode des multiples « post » n’est-elle qu’un élément de langage, une posture, voire une imposture destinée à donner l’illusion du mouvement ? Ce sont à la fois la fertilité et les limites de cette particule, qui finalement n’est pas si élémentaire, qui pourront faire l’objet des investigations du Congrès de l’AFEA.